INTERVIEW DOMINIQUE BUXIN, part 2
NAGASAKI / HIROSHIMA 1945
Doro : On arrive à la période japonaise du groupe, avec Nagasaki Mon amour, Hiroshima 1945, et Kyoto, sortis entre septembre 80 et mars 81. C'était une demande de Roger-Marc ? À cette époque, Martine et lui étaient très branchés Japon. D'ailleurs, as-tu remarqué que beaucoup de groupes français / belges étaient fascinés par le Japon début 80 ? Taxi Girl, Metal Boys, Tokow Boys, JJ Burnel...

Dominique : Oui. Peut-être s’agissait-il des prémices de la souche musicale d’une grippe aviaire japonaise. Cet intérêt commun a certainement renforcé les liens entre PS et JJ. RM et Martine sont d’ailleurs allés quelques semaines au Japon. Personnellement je n’étais pas particulièrement intéressé, mais comme ce sujet permettait d’aborder un thème politique, j’ai de suite embrayé.
En outre, il me permettait le jeu de mots du titre (« Nagasaki mon amour », inspiré du texte de Marguerite Duras « Hiroshima mon amour » qui est le scénario d’un film d’Alain Resnais, en 1959).
Le morceau raconte l’histoire d’un couple de Japonais qui met au monde un enfant le jour de l’explosion de la bombe atomique, le 9 août 1945, à Nagasaki.
(à propos du manuscrit de Nagasaki)
Nagasaki mon amour : c’est l’écriture de Roger-Marc qui a dû, je pense, réorganiser les couplets. Alors, le mot en jaune (Chiyoka) est le nom du personnage de la chanson. Or, il est écrit «Nastassia». A l’origine, il s’agissait (accroche-toi bien) d’un prénom inventé, style «poésie lettriste». Le nom était «Und Tä Kratz» (à prononcer à l’allemande: ound te kratsss ». Ce qui aurait été fort douteux. Nastassia est peut-être de RM, et Chiyoka serait de JJ, qui connaissait un peu le Japon. Choix plus judicieux, en effet.

On croise plusieurs fois la Joconde dans ce morceau. Pourquoi la Joconde ?

D : La Joconde est présente pour deux raisons. Tout d’abord, le tableau me faisait penser à une sorte d’estampe japonaise. Les yeux de Mona Lisa, légèrement en amandes, pourraient suggérer un visage japonais. Et si tu imagines, à droite ou à gauche du portait, quelques signes en écriture japonaise…
De plus, la Joconde est devenue un des symboles de la culture. L’associer à un des symboles de la civilisation/barbarie me permettait de montrer combien la puissance créatrice de l’être humain pouvait être ambiguë. Ce mélange de bien et de mal, c’est typiquement humain. (Comme le dit La Rochefoucauld : « Les vices entrent dans la composition des vertus, comme les poisons dans la composition des remèdes »).
Enfin, pour l’anecdote, si tu te rends au Louvre et que tu essayes de t’approcher de la Joconde, parmi les touristes qui s’y agglutinent, tu verras combien les Japonais sont nombreux. La boucle est ainsi bouclée.

« Hiroshima » est présenté comme une sorte de fête, de festival urbain comme il en existe maintenant de nombreux. Dans la chanson, on retrouve des dandys, des zazous, un groupe de rock soviétique… C’est une ambiance surréaliste, sur le fil de la mort. On y rencontre en effet des garçons d’Hiroshima et des filles de Nagasaki qui entament une danse hyper moderne, appelée « uranium » (Nagasaki boys, Hiroshima girls, did the uranium, puisque la chanson est écrite en anglais- en américain, faudrait-il dire, pour la circonstance).
Elle fait d’ailleurs écho au texte de « Nagasaki », puisque là aussi, le couple de futurs parents manifeste sa joie en dansant « l’uranium » et le « plutonium ». Bref, on s’éclate.
Il y a également une allusion au texte de Marguerite Duras, puisqu’elle écrit à plusieurs reprises “ Tu n’as rien vu à Hiroshima”. La chanson, elle, commence chaque couplet par « I was in Hiroshima ».

Je suppose que le texte de Kyoto a été écrit directement en japonais. Ou bien est-ce la traduction d'un texte de toi?
D : Non, je n’ai rien écrit pour ce morceau.

LECTURES
Et question bouquins, quels étaient tes livres de références ? Je te demande ca parce que la construction de tes chansons est très particulière, complexe. On retrouve rarement le schéma habituel : refrain / refrain / couplet / refrain / couplet / refrain. Space Rejection, par exemple, c'est la même phrase répétée 13 fois de suite, avec seulement 2 mots qui changent à chaque couplet.

D : Je ne pense pas qu’il y ait eu d’influence littéraire dans l’élaboration du texte de ce morceau.
Maintenant, en ce qui concerne mes goûts littéraires, mes références de l’époque … Difficile de répondre, car cela fait plus de vingt ans. C’est plus aisé pour un disque, car on l’associe plus facilement à un événement de sa vie. Pour les livres, c’est plus vague : on ne les lit pas nécessairement au moment où ils paraissent, les classiques se mêlent aux nouveautés.
Je peux quand même te citer des auteurs que j’apprécie. Il y a Prévert et Vian, ce dernier était l’auteur choisi pour mon mémoire de fin d’études. Et, petite anecdote, sur le premier disque de Gainsbourg, figure une critique extraite d’un journal, critique positive, signée Boris Vian. Comme quoi, tout se tient. Allez, en vrac : Baudelaire, Bukovski, Isaac Bashevis Singer, Amos Oz, Avraham Yehoshua, Modiano…
Mais il y a un livre sur lequel je veux insister : celui qui m’a le plus touché, bouleversé par son humanité, sa puissance littéraire et morale, c’est « Le pavillon des cancéreux » de Soljenitsyne. Je suis resté trois semaines sans pouvoir ouvrir un autre livre...

PS (Mother's Little Helper / Girlscout / Men & Construction / On The Way To Medora / Saison)  

GIRLSCOUT : Le scoutisme, c'est tres belge. Tintin en est l'exemple le plus connu. A-tu été scout ? Moi oui.

D : J’ai été louveteau deux ans, quand j’avais 9-10 ans. C‘était gai de courir dans les bois (cf. surtout la «Patrouille des Castors », que j’adorais lire dans « Spirou »), mais le côté un peu militaire m’ennuyait (même si je suis fils de militaire). De plus, les enfants d’officiers étaient toujours favorisés. C’était même évident.. Alors, bye bye, je suis parti dans le club de football qu’on venait de créer en FBA (Forces Belges en Allemagne). C’était à Düren, on jouait en noir et blanc, on a pris des raclées, puis j’ai pu jouer dans la première équipe du club, en rouge et noir, et on a même été champions une année. Et depuis que je suis gamin, j’adore le foot, même qu’une fois, en regardant la Coupe du Monde (en 1964), je me suis demandé si j’aimerais encore le football quand je serais « grand ». La réponse est : oui, et encore plus.

Dans cette chanson, comme dans Party, il y a une ambiguité sur le sexe de la girlscout ("vous étiez ma travlolita").

D : Le boy-scout ayant un sens du dévouement, la Girlscout (jeu de mots évident) l’a aussi, mais dans un domaine plus particulier. Le mot-valise «travlolita» pourrait laisser croire à une ambiguïté sexuelle, mais il s’agit bien d’une femme, qui se plierait aux divers phantasmes du client (Le «Je» étant un narrateur lambda, l’homme de la rue, le citoyen moyen…. À ne pas confondre avec le gros du peloton !).

Le texte est trés érotique. Un des plus chauds de PS avec «Irrigation».

D : Effectivement, les paroles, ici, sont exclusivement orientées vers le sexe. Paroles épicées même, si on se réfère au deuxième couplet. «Irrigation» est aussi à base de sexe, mais c’est une métaphore pour parler des problèmes d’approvisionnement en eau que connaissait l’Afrique (début 80- et encore malheureusement aujourd’hui). Dans mes chansons je suis trois axes, que je combine souvent ( politique/société – amour- sexualité).

 

MEN & CONSTRUCTION

Alors là, on est dans un thème tres différent : l'architecture moderne, avec une ambiance très Kraftwerk.

D : Exact. J’avais eu l’occasion d’aller en Egypte, puis à New York. Deux endroits où l’architecture ne laisse pas indifférent (l’impression que l’on ressent quand on se trouve sur le plateau de Gizeh, devant les pyramides. C’est étonnant. Il y a la puissance de l’édifice, l’empreinte de l’histoire, du passé). New York aussi, d’une autre manière. C’est le présent –présent, pour quelqu’un qui débarque d’un continent où le présent côtoie le passé. Quand je pense que nous étions, ma femme et moi, au sommet d’une des tours jumelles (celle accessible aux touristes- c’était en 1982) et que presque 20 ans plus tard, le 11 septembre, je les ai vues s’effondrer. C’est difficile à imaginer. (Je venais de quitter l’école. Il était 16 heures. Je mets les infos, en voiture. Je crois que c’était Europe 1 –Guillaume Durand, parlant d’une tour en feu. Je me suis dit : c’est un feuilleton radiophonique ou quelque chose du genre. Je change de station – la radio belge- même histoire !! Là je me suis dit qu’il se passait quelque chose de spécial. J’arrive chez moi environ 15 minutes plus tard, j’ouvre, je crie à ma femme : « mets la tv ». Et elle, toute calme : « Pourquoi, qu’est-ce qui se passe ? J’ai été presque in capable d’articuler une phrase correcte. Et puis, comme des millions de gens, je suis resté collé devant la tv, passant d’une chaîne à l’autre.
Bref, « Men and DESTRUCTION ». Et puis Bush, etc.

Retour à la chanson.
Je parle aussi de Brussels, et de « New Hiroshima », « New Nagasaki ».
L’ambiance musicale fait en effet penser à du Kraftwerk (groupe que j’aime beaucoup - j’ai tous leurs disques). Tu noteras que dans les paroles on évoque le « Trans Europe Express ». Encore une fois, tout se tient.
Et, en 2005, PS (Roger-Marc et Kloot Per W) ont réinterprété le morceau « Computer World » de Kraftwerk, avec des paroles que j’ai actualisées (C’était indispensable puisqu’à l’époque où ce morceau a été composé, Internet n’existait pas encore…).
On parle aussi du Mur de Berlin : « Berliner Mauer » en allemand – à prononcer Mo-we- et que R-M prononce « Maver-méver). Problème de transmission dû à mon écriture douteuse et qu’il a eu difficile à déchiffrer. Et comme on ne s’est sûrement pas vu entre la lecture et l’enregistrement, ça explique ce fait ( qui ne changera pas la face du monde, même si la chute du mur a été un grand événement. Cette coquille devait être prémonitoire !!). L’allusion à l’Allemagne reviendra dans d’autres morceaux.

ON THE WAY TO MEDORA
Le titre de cet instrumental est-il de toi ? RM n’arrivait pas a se souvenir de sa signification.
D :Le titre n’est pas de moi. Je ne peux donc pas te renseigner.

SAISON
Reprise (totalement différente) d'une chanson qui figurait sur le 1er 45t. C'est un peu la fin d'un cycle, non ? Apres, c'est le 1er album, et PS va changer de forme.
D : Il y aura en effet le premier album. On passe à la vitesse supérieure.

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