PART 1 : 1979-1984

En fait, Polyphonic Size n'était pas vraiment un groupe, plutôt un projet. Celui de Roger-Marc Vande Voorde. Né à Charleroi (Belgique) en 1959, Roger-Marc suit ses parents en Allemagne, près de Cologne. Fan des Stones, il se met à la guitare et joue dans des petits groupes: Berk, Reynolds, Magnetix et surtout Melody. Enregistrées fin 76, début 77, plusieurs bandes live subsistent de cette période, avec un Roger-Marc survolté reprenant les classiques du rock 60's/70's : Get Back, Jumping Jack Flash, Walk On the Wild Side, Gloria...
En 1978, de retour au pays, il débute des études de psychologie et créé un nouveau groupe, Les Cookies, avec Johan Van Mullen à la basse et Michel Verbeek à la batterie. Fini les standards, les Cookies ne jouent que des morceaux persos. Un rock carré, punk/new wave, plus proche des Modern Lovers ou des débuts de Police. Roger-Marc devient une figure de la B Clique, la scène punk de Bruxelles.

Dans le même temps, il fonde le Mouvement Oblik, axé sur la musique électronique et influencé par Devo et Kraftwerk. On y retrouve Jerry WX (future X Pulsion et Revenge), Daniel B (Prothese, puis Front 242), Michel Lambot (qui tient alors un magasin de disques, Casablanca Moon, et fondera ensuite Play It Again Sam). Et aussi Pseudocode, le groupe de Alain Neffe, qui sortira ses premiers simples sur le même label que Polyphonic Size. Oblik est juste un concept, une idée, mais RM remplit des petits carnets, avec des notes, des dessins, des collages...

Daniel B travaille dans un magasin de musique de Bruxelles, Hill's Music. Avec Roger-Marc, il découvre les premiers synthétiseurs Korg à prix abordable. Tous les deux se plongent alors à fond dans l'électronique. RM casse sa tirelire, achète du matériel et transforme sa chambre en home-studio. Des premières demos voient le jour et fin 1979 parait Algorythmic EP, le premier EP de Polyphonic Size. RM y joue de tous les instruments, chante, produit et réalise même la pochette. Enregistré au Studio Nobody de Bruxelles, le disque sort sur un nouveau label underground, Sandwich Records, créé par Michel Lambot. Quatre titres figurent sur ce premier EP : Saison, Space Rejection, Mode et Plage Privée. Des petites pièces électroniques, parlées (plus que chantées) en anglais ou en français.

Dominique Buxin est l'auteur des textes. Rencontré en Allemagne à l'époque de Melody, il chantait dans un autre groupe, Kolossal. Bien qu'il ne montera jamais sur scène, D. Buxin sera un membre essentiel de Polyphonic Size, avec une écriture proche de Serge Gainsbourg ou Jacques Lanzmann, le parolier de Jacques Dutronc.
Un nouvel EP, Pragmatic Songs suit 2 mois plus tard. Cette fois, Roger-Marc est rejoint par Régine K, qui chante Ommatidia, dont elle a écrit les paroles. Régine est une fille étrange, branchée SM, qui élève des serpents dans son appartement... Le disque comprend aussi Logique Polygonale (qui réapparaitra sur le 1er LP sous le titre de Rendez-Vous), Party et Travelling Things, un extraordinaire collage de bandes magnétiques, sirènes, dialogues et electroniques.

C'est à ce moment qu'intervient Jean-Jacques Burnel. Fan des Stranglers, Roger-Marc anime alors Strangled, un fanzine dédié aux Meninblack. Ayant déja rencontré JJ une première fois à Cologne en 1978, il lui envoie les 2 premiers EP. JJ vient justement de sortir Euroman Cometh, son LP solo européen, axé sur l’électronique, les boites à rythmes et le mélange de textes anglais et français. Il propose immédiatement de produire le prochain single.

Nagasaki Mon Amour/Hiroshima 1945 est enregistré en Angleterre, en avril 1980. RM publiera le récit de cette extraordinaire session dans Strangled n° 5, sous le titre de "Chronologie d'une production". Le Japon, l'electronique, l'Europe... Le courant passe très bien entre RM et JJ, qui chante aussi les backing vocals. C'est le début d'une amitié et d'une longue collaboration musicale.

Armé de ce nouveau single, Roger-Marc passe l'été au Japon où il rencontre notamment YMO et Ryuichi Sakamoto. L'année 1981 commence par l'enregistrement d'un maxi 5 titres, PS, avec une reprise robotique du classique des Stones, Mother's Little Helper. Sur le vinyl, Roger-Marc a écrit : "Fuck The Stones", ce qui ne l'empèchera pas de l'offrir à Keith Richard quelque temps plus tard ! Quatre autres titres figurent sur le maxi : Girlscout (chanté avec Angie, une amie anglaise), Men & Construction (très Kraftwerk), On the Way To Medora (qui débutera les concerts de 1982) et une nouvelle version de Saison. Cette fois, Polyphonic Size s'est enrichi de Martine Bourlée (qui est aussi l'amie de RM) et Jean Marc Lederman (futur Kid Montana et Weathermen).

En mars 1981, Sandwich Records publie B9, une compilation où l'on retrouve un inédit de PSize : Kyoto (avec la voix d'Akiko, journaliste japonaise). Kyoto réapparaitra quelques mois plus tard, dans une version différente, en face B du pressage français de Nagasaki, sur Radical records.

Le premier concert de Polyphonic Size a lieu à Bruxelles, le 3 avril 81, dans un festival: The First Belgian Rhythm Box Contest. Au même programme: Etat Brut, Nausea, Pseudo Code et Snowy Red. Pas de batterie (remplacé par une K7, avec l'ensemble de la rythmique), une nouvelle chanteuse, France Lhermitte, un chanteur, Bernard Dradin (qu'on retrouvera quelques années plus tard dans Noh Mask) et Kloot Per W à la basse. Sur Scène, Bernard execute une fantastique version speedée de Space Rejection, le visage masqué d'une cagoule.

Beaucoup de bandes toujours inédites subsistent de cette période : versions différentes de Nagasaki, Kyoto, Girlscout, Mother's Little Helper, Saison, ... des tonnes d'instrumentaux électroniques, et des reprises tordues des Stranglers : Meninblack, Don't Bring Harry, Duchess.

Après 3 ans d'existence et une demi-douzaine de singles ou maxis, Polyphonic Size enregistre enfin son premier LP à Bruxelles, de janvier à avril 1982. Cette fois, Roger-Marc est entouré de Martine Bourlée, France Lhermitte (voix), Kloot Per W (basse) et Dominique Buxin (textes). JJ Burnel produit l'album. Quelques amis sont aussi invités: Luc Van Acker (guitare), David Salamon (saxophoniste du groupe belge Arbeid Adelt) et Phil Wauqaire ("stick-bass" de Digital Dance).). Sorti en septembre 1982, sous 2 pochettes différentes (belge ou française), Live For Each Moment/Vivre Pour Chaque Instant sera le chef d'oeuvre de Polyphonic Size. Très impliqué dans la réalisation de l'album, JJ chante 2 titres extraordinaires : Winston & Julia (d'après 1984, de Orwell), et Je T'ai Toujours Aimée, composé en 2 heures, avec JJ à la basse.

Pour la première fois, Polyphonic Size part en tournée. Après un premier concert à Gand le 29 octobre 1982, ils donnent une fantastique performance à Paris (aux Bains Douches, le 4 novembre 82), retransmise sur France Inter (dans Feedback, l'émission de Bernard Lenoir, déjà). Comme en 1981, PSize joue sans batterie, juste les voix, synthés, guitares, et une K7 pour la rythmique.

Une version remix de Winston & Julia sort peu après, avec en face B un incroyable Parties Dance, improvisé en studio par JJ et Roger-Marc, sur un texte de Dominique Buxin. Celui-ci signe aussi l'extraordinaire Detective Privé sur Fire & Water, le duo de JJ et Dave Greenfield. New Rose distribue une version gratuite de Je T'ai Toujours Aimée et choisit Girlscout et Parties Dance pour sa compilation Rose 83. Entre temps, France Lhermitte chante les backing vocals sur l'album des Stranglers, Feline.

En mai 83, Polyphonic Size signe un tout nouveau contrat avec Clouseau Musique, un satellite de Virgin, dirigé par Philippe Constantin. Puis, Roger- Marc, Martine et JJ passent l'été en studio, à Cambridge, pour enregistrer le 2ème album. Bien qu'il n'apparaisse pas sur scène, JJ est devenu un membre à part entière du groupe: il chante, compose, joue de la basse, produit le disque... PSize est pour lui un projet alternatif aux Stranglers, plus européen. S'il apporte énormément au groupe, JJ impose aussi ses choix: c'est lui qui décide d'interdire Kloot Per W de studio, ce que celui-ci prendra évidemment très mal.

Walking Everywhere sort en janvier 1984. Dominique Buxin signe toujours les textes et on retrouve en invités Daniel B et Dave Greenfield (Stranglers). L'album est une sorte de tour du monde, de l'Europe (Brussels Waltz) aux USA (le Rocker de la CIA), via l'Afrique (Irrigation) et le Moyen Orient (Mohammed & Sarah).

Bien que moins spontané que le précédent LP, Walking Everywhere est une nouvelle réussite. Walking Class Hero sort le même mois en single. Tout va alors pour le mieux pour Polyphonic Size. Le groupe est à son sommet. C'est à ce moment là que les choses vont commencer à se gâter sérieusement.