INTERVIEW ROGER-MARC VANDE VOORDE. Part 2 : 1982-1987

LIVE FOR EACH MOMENT/ VIVRE POUR CHAQUE INSTANT


D : Pourquoi les 2 pochettes : le tableau de Goya pour Sandwich records et la pochette New Rose ?
RM : je sais pas. C’etait leur idée. Je crois qu’ils avaient des graphistes à eux, et qu’ils voulaient un certain style de pochette.
D : ZAS débute l’album, ce sera aussi le dernier de Prime Story.
RM : c’est un morceau de Luc Van Acker. C’est dommage, mais JJ s’est tres mal entendu avec Luc. Il etait très exclusif…
D : C’est lui qui chante sur Winston & Julia ?
RM : c’est lui. On avait fait plusieurs prises, et on y arrivait pas. Alors JJ a dit : je peux essayer ? Et c’etait parfait, on l’a gardé comme ca. JJ a dit, vous êtes sûr ? et nous, oui oui oui !
D : c’est lui aussi qui chante Je T’ai Toujours Aimée ?

RM : Oui. on a enregistré ce truc en quelques heures. On terminait l’album, il nous restait même pas une demi-journée de studio, et Michel Lambot s’est pointé et a dit : “ oh les gars, ca va pas du tout, vous avez que 8 morceaux ? ca fait pas le compte, il en manque un “ (rires) ! Alors JJ a ouvert le carnet de Bubu… Il etait tres prolifique et avait toujours des textes en plus. JJ a choisi celui là. C’est lui qui chante et qui joue de la basse. L’album, on l’a fait avec de la coc’ et de la Duvel. La Duvel ? C’est une bière, ca veut dire Devil en flamand.

WINSTON & JULIA (12" remix)

D : je trouve que le remix de Winston & Julia n’est pas aussi bien que l’original.
RM : c’est vrai. JJ a jamais été tres bon pour les remix. Mais Lark, le label, en voulait un, alors il a dit OK.
D : Parties Dance est vraiment un morceau extraordinaire.
RM : ah oui ! En fait c’est basé sur la même rythmique que NBCGmbh, qu’on a passé au ralenti. On l’a fait en une prise. JJ a improvisé des trucs en se basant sur un texte de Bubu : balancez les couilles, agitez le zizi… (rires). Moi j’etais aux claviers.

LIVE

D : c’est à cette époque là que vous commencez à jouer live.
RM : je crois que le premier concert a dû être fin 1981, un festival qui s’appelait « the first belgian rythm’n’box contest »
D : qu’est ce que vous aviez comme matériel sur scène ?
RM : et bien, j’etais au chant, guitare et claviers, Martine chant, claviers et percussions, kloot basse et guitares et France chant et percussions. On avait aussi un Atari qu’on appelait Atari 1040 parce qu’il avait 1Mo de mémoire.
D : Kloot joue fantastiquement bien sur le live aux Bains Douches. J’ai longtemps cru que c’etais JJ qui jouait, surtout a la fin, dans Le Temps du Swing.
RM : Kloot est un des meilleurs guitaristes en Belgique. C’est vraiment un très bon musicien.
D : comment réagissait le public ? l’absence de batterie, ca les choquait pas ?
RM : non… on a toujours été tres bien accepté. Une fois, à Vienne, y'a une nana, plus très jeune, 40, 50 balais, qui m’a balancé le micro dans la figure. Je me suis ouvert la lèvre. C’est tout je crois…
D : Même quand vous faisiez la première partie des Stranglers ?
RM : les vrais fans des Stranglers savaient que JJ nous avait produit, donc ils nous respectaient.
WALKING EVERYWHERE
RM : Je suis un peu insatisfait par cet album, on aurait pu aller beaucoup plus loin.
D : ??!?!! ?!!??? Ah bon ?!?!? Comment ca ???? il est génial ce disque !!! et puis il y a un vrai concept sur le voyage, une belle pochette…
RM : ouais… On l’a enregistré en un mois. JJ m’a dit «, ‘ on le fait tous les deux : toi et moi. Il voulait pas voir Kloot, ce qui etait tres dur pour lui, qui etait quand même un membre du groupe ! et en plus, c’est un excellent guitariste. D’ailleurs, je trouve que le résultat manque de guitares…
D : A ce moment-là, JJ Burnel est vraiment un membre du groupe à part entière, pas seulement un producteur, non ?
RM : C’est vrai… On a essayé de retrouver la magie de Je T’ai Toujours Aimée, mais on n'y est pas arrivé.
D : sur la pochette intérieure, il y a marqué : Thanks to Mr Baker.
RM : oui, et, uncensored, Mr Baker, c’est l’agent immobilier de JJ Burnel ! Il etait passé au studio, pour je sais plus quoi, et il a dit « ah, mais j’ai joué du piano moi aussi, dans ma jeunesse... » . Alors il a joué sur le disque (rires).
D : et Genevieve ?
RM : c’etait la meilleure amie de la copine de JJ. Elle nous avait beaucoup aidé depuis le début.

(On écoute Le Rabatteur des sectes).

RM : En live c’était terrible. Beaucoup plus rentre-dedans. En général, on finissait par ca.
D : Mais moi, j’aime beaucoup cette version. Je comprends pas que… Tu écoutes ce disque des fois ?
RM : jamais. Des fois, des morceaux de Prime Story, mais c’est rare.
D : Apres l’enregistrement de l’album, vous tournez beaucoup. Kloot part vers 84. Qui est dans le groupe à partir de ce moment-là ?
RM : On s’est retrouvé tous seuls Martine et moi, alors on a passé des annonces dans les journaux musicaux. On voulait jouer avec un vrai batteur. On cherchait aussi un clavier, et un bassiste. Le bassiste, ca a été mon petit frère. On a trouvé le batteur et le claviériste, mais au final, ça ressemblait à de l’electro jazz funk rock… y a pas grand-chose qui est sorti de cette époque-là…
D : Des 84 ?
RM : non non, plutôt après 86. Apres 84, on a fait la promo de l’album, Kloot a assuré quelques concerts. À Paris, on a fait le Forum des Halles, les Nuits Bleues à Lyon, Strasbourg…
D : mais, tu n’avais pas l’impression qu’avec ce disque sur Virgin, vous étiez lancés ? Que ca allait bien marcher pour vous ?
RM : non, je me disais que l’album etait raté. Qu’on avait raté une chance… En plus, on avait beaucoup de problèmes à jouer le disque sur scène. Kloot connaissait pas les morceaux, puisqu’il n’y avait pas participé.
D : IRRIGATION est vraiment un morceau extraordinaire. Vous l’avez joué live ? Ça devait pas être évident.
RM : non, c’etait très très difficile… Ça a été tres mal accueilli en Belgique, on nous a accusé de sexisme. Dans 2, 3 journaux, on s’est fait assassiner… (rires).

D : et ensuite, vous aviez prévu un 2eme album avec Virgin ?
RM : On avait signé pour 2 albums. On a commencé à écrire des nouveaux morceaux etceteri etcetera, mais…. On avait mal lu notre contrat… Y’avait une petite ligne au fin fond d’une page qui disait que la maison de disques se réservait le droit de remplacer éventuellement le 2eme LP par un single. Ce qui voulait dire que si le 1er marchait pas, il le switchait par un 45t. Et c’est ce qui s’est passé.
D : Le single c’etait L’Amour, 2 ans après ?
RM : voilà. Quand on a amené les demos pour le 2eme LP, ils ont dit « oui mais blablabla.. » et ils ont sorti cette clause du contrat pour le remplacer par un single. On s’est fait niquer. Notre éditeur aussi, qui avait soi-disant bien relu le contrat.
D : Et c’est là qu’ils ont voulu vous imposer Jay Alanski comme producteur ? Moi j’adore le premier album de Lio, c’est un chez d’œuvre.
RM : oui, mais nous on etait beaucoup plus british, on le trouvait trop pop.
D : Et JJ Burnel, ils ne voulaient pas en entendre parler ?
RM : Ben honnêtement…après le deuxième album, les histoires avec Kloot, on etait un peu en froid… On voulait pas recommencer la même expérience. La page etait tournée. Comment dire… je lui en veux pas, il a tellement apporté au groupe. Mais je trouve qu’il a été… un peu trop rigide, un peu trop star… en disant : je veux pas entendre parler de Kloot. c’etait une erreur.
D : Mais une fois Kloot parti ?
RM : j’en voulais un peu à Jean-Jacques.
D : Mais tu crois que Polyphonic Size etait devenu un peu son groupe, ou il pouvait développer son concept européen, chanter en français ?
RM : tout à fait d’accord avec toi. Je crois que si les Stranglers avaient pas été là, Psize aurait été le groupe ou il se sentait le mieux. Y’avait pas de comparaison avec les Stranglers, mais il etait tres très proche de nous, voulait toujours s’impliquer. Et si d’autres personnes voulaient apporter quelque chose, il disait non.
D : pourtant, sur les pochettes, il se mettait pas tres en avant. Il apparaissait comme producteur. Bien qu’étant pratiquement un membre du groupe.
RM : il s’investissait à fond. JJ, c’est quelqu’un de vrai, de réel. Quand il aime une musique, il donne de lui-même. Mais il etait d’abord le bassiste des Stranglers. Et quand on devait partir en tournée, on devait se démerder nous-mêmes… Sans lui, on n’aurait jamais fait le parcours qu’on a fait, mais on arrivait pas toujours à refaire la même chose sur scène…
D : il est monté sur scène avec vous ?
RM : oui, 3 ou 4 fois, je crois. 2 fois à Bruxelles, une fois a Londres en 88…
D : il faisait tout le concert, ou juste quelques morceaux ?
RM : juste 2, 3 morceaux, Winston & Julia, Je t’ai toujours aimée…

FILM

D : En 1985, tu écris la BO d’un film, Bruxelles, Center of Europe.
RM : Euh…. Je sais même pas si j’ai encore les bandes. J’ai fait plusieurs musiques pour Eric Peereman. C’est lui qui a fait tous nos clips, mais il faisait aussi des pubs, des films industriels… et quand il avait besoin de musique, il me demandait. J’ai fait pour lui 2 musiques, dont une du temps de Nagasaki, dont je dois avoir encore les bandes. Le film sur Bruxelles, c’etait une commande de la Commission Européenne. Vingt minutes de BO de Polyphonic Size, instrumentale, full électronique ! Je serais curieux de réécouter ça.

LES ANNÉES NOIRES

RM : En 1984, on a flambé le chèque que nous a donné Virgin en 3 jours pour acheter du matos. Après, on etait en procès avec eux jusqu’en 1986. Pour finir, ils ont sorti un single, L’Amour, qu’ils n’ont pas poussé.
D : c’était pas un très bon disque…
RM : non. C’était autre chose, mais c’est eux qui l’avaient choisi. Ils voulaient quelque chose de pop. Le morceau le plus pop avec le producteur le plus pop. Si ça marchait, bingo ! ils signaient pour la suite, si ça marchaient pas…. En 1987, on nous a gentiment remercié. Alors on s’est dit, on va pas en rester là.

TRANSIBERIEN

RM : c’etait une tres bonne expérience. À la base, c’etait un échange culturel entre la Belgique, la Chine et l’URSS. Il y avait 2 groupes, nous, et les Gangsters d’Amour. On a dit, on va monter un studio dans un des compartiments, l’idée étant de préparer l’enregistrement de Overnight Day dans le train. Et c’est vrai qu’on a composé quelques morceaux, mais franchement ca n’a jamais vraiment marché, parce que… d’abord, quand on a passé la frontière de la RDA, on est tombé en 110 volts (rires)… Ce qu’on n’avait pas prévu ! Mais on avait trouvé une astuce, on avait découvert que, dans les toilettes du wagon les rasoirs marchaient en 220 volts, donc, on avait été chercher une rallonge, et on connectait tous l’équipement sur la petite prise du rasoir ! T’imagines bien que toutes les 4-5 heures, tout le bazar pétait ! (rires)…Y’avait de tout dans le train, des défilés de mode… 320 Belges en furie. Grave !

D : mais comment ca se passait, les gens pouvaient monter dans le train ?
RM : non non, le train etait full réservé. On est monté à Bruxelles, on a fait juste un arrêt technique à Varsovie, et puis on a joué live à Moscou. On jouait à 3, Martine, Glen et moi. Pierre, le claviériste, avait pas pu venir, alors on avait tout programmé sur l’Atari. Apres 3 jours à Moscou, on a traversé toute la Sibérie, c’etait génial, et on est arrivé à Irkoutsk. Et là, on a fait un concert improvisé. On a sorti les guitares, les amplis, et le soir, on a commencé à jouer sur une espèce de grande place communale, tout pres de la gare. Les Russes sortaient de leur maison, voir ce qui se passait, et puis le soir, on a joué. Une ambiance incroyable… À un moment, y’a des Russes qui sont montés sur scène. Ils nous ont demandés si on pouvait leur prêter notre matériel, pour qu’ils puissent jouer. On a dit OKbien sûr. Un souvenir incroyable, en plein milieu de la Sibérie, devant 200 personnes…
Après on a joué à PEKIN… 17 secondes. A Bruxelles, l’ambassade de Chine avait fait traduire tous nos textes, pour être sûr qu’il n’y avait rien de subversif. Bon, on n’avait pas tout donné, juste les plus softs, mais c’etait passé comme une fleur. On arrive à Pékin… On fait le soundcheck… Voilà l’organisateur qui arrive. Pas question de rock en Chine ! C’était vraiment absurde, parce que avant nous, y’avait un défilé de mode, avec des nanas à moitié a poil sur de la musique genre Front 142… Des trucs 100 fois plus subversifs que nous ! Mais voir des jeunes avec une guitare en main, impossible ! Alors on a installé notre matériel derrière un rideau, et quand le défilé se termine, l’ingénieur du son fait fade in, fade out, le rideau s’ouvre et là…ouaaaaaah on arrive avec nos guitares… ! Tu parles, 17 secondes plus tard les chinois ont fait couper l’électricité, les flics ont viré tous le public chinois de la salle. On s’est retrouvé à 2 ou 300 belges, à jouer en acoustique dans une salle de 8 ou 9000 personnes. C’etait notre concert en Chine. Une expérience inouïe. Le peuple chinois est un des plus chouettes que j’ai rencontré, mais les politiques…. Laisse tomber.

D : Tu as enregistré ces concerts ?
RM : peut être… Mais il y a eu un film. Le concert de Pékin, c’etait le jour de l’anniversaire de Martine, je me rappelle, j’avais couru partout en ville pour trouver des fleurs. Impossible. Finalement, j’ai trouvé ça dans un truc occidental, genre Hilton.