INTERVIEW ROGER-MARC VANDE VOORDE. Part 1: 1960-1981
D = doro
RM = Roger-Marc

ENFANCE & ALLEMAGNE
D : tu as juste passé quelques années en Allemagne, ou toute ton enfance ?
RM : moitié moitié… j’ai beaucoup voyagé. Mon père était militaire, enfin, il travaillait pour l ‘armée. Il était postier à Charleroi, la région de Dutrout (rires), il avait 4 enfants, ca devenait difficile, alors il est devenu postier pour l’armée, en Allemagne. J’etais à Charleroi jusqu’à ce que je me fasse renvoyer de l’Athénée. En Belgique, on dit l’Athénée, c’est l’équivalent du lycée. Alors je me suis retrouvé en Allemagne, dans un internat militaire. Mais c’etait un internat mixte, alors c’etait vraiment le paradis ! C’etait prés de Cologne. D’où déjà Kraftwerk.
D : tu les as vus en concert ?
RM : en concert, non, mais je les ai vus à la TV, Autobahn… à la ZDF, c’était un choc pour moi.
D : l’électronique, ca venait de là ? tu jouais déjà dans un groupe à l’époque ?
RM : on a démarré avec des copains un groupe qui s’appelait MELODY, on faisait des covers des Stones, des Ramones, et puis on a commencé à composer nous-mêmes...
D ; mais ton lycée, c’etait un lycée allemand ?
RM : francophone, c’etait pour tous les enfants militaires belges en Allemagne… y’avaient des enfants d’ambassadeurs, des gars du Zaïre, du Gabon, une sorte de lycée français.
D : alors d’une certaine manière, le côté international de Polyphonic Size était présent avant l’existence du groupe : chanter en plusieurs langues, mélanger plusieurs cultures…
RM : dés le départ. De toute façon en Belgique, on est forcé de parler un minimum de plusieurs langues, le Français, le flamand, l’anglais…
D : mais selon mes infos, ton premier groupe c’etait pas Melody, c’etait BERK.
RM : oui… à 13 ans, avec mon grand frère et un pote de l’Athénée. On faisait des trucs des Beatles, du Bob Dylan…
D : Après, c’est le retour à Bruxelles, en 1978 ?
RM : c’est ca, pour aller à l’université.
D : et donc, dans la vague punk ?
RM : en plein dedans ! Ça tournait autour de gens en 76-77 qu’on appelait la B CLIQUE. Avec un B comme Belgique. Des journalistes musicaux, tout ca. Y’avait Jerry, qui nous a suivi après dans le groupe. À l’époque, j’avais un groupe punk qui s’appelait les COOKIES. Enfin, punk à la Police, quoi, plus pop.
 
Melody, decembre 1976
MOUVEMENT OBLIK  
D : et le MOUVEMENT OBLIK, c’etait quoi ?
RM : c’etait, disons…la 2eme vague qui a suivi le punk. Et là, c’etait déjà les prémisses de Polyphonic, parce que c’etait influencé par Devo, Kraftwerk, quelque chose de plus electronic, plus cold.
D : mais c’est toi qui l’a créé, ce mouvement ?
RM : ouais ouais
D : et qui y avait-il d’autre ?
RM : une bande de potes surtout et 2, 3 groupes, y’avait Jerry, Daniel B, Michel (Lambot)… des gens qui ont fait Front 242, Play it Again Sam… les gens de Pseudocode aussi, mais moins. Daniel, Michel, Jerry… Jerry malheureusement il est mort aussi.
D : Jerry, c’etait qui ?
RM : C’etait un super guitariste, il a fait X Pulsion, et Revenge, qui etait produit par JJ Burnel aussi, et Digital Dance. C’etait une figure du milieu punk Bruxellois, tout le monde le connaissait. Il est parti, malheureusement. Le sida… Son nom punk c’etait Jerry W X. Jerry Wanker. Il nous accompagnait en tournee, il faisait le son…
D : Mais pour revenir au MOUVEMENT OBLIK, il y a eu un manifeste ?
RM : non… euh si si si ! on avait une certaine manière de taguer Oblik dans les cafés branchés de l’époque, et récemment, c’est vrai que dans le grenier, j’ai retrouvé un bouquin que j’avais écrit sur Oblik… Mais y’a pas de textes, juste du plastique, des photos, des collages… En retournant le bouquin, au dos, j’ai trouvé toutes les notes du premier album, piste par piste ! Et puis j’ai trouvé des photocopies ou je notais tous les branchements, les câbles, les boutons, comme un schéma électrique… Parce qu’il fallait reproduire ca en studio, c’etait tres compliqué !

D : Et, à part Daniel de front 242, tu connaissais d’autres groupes, Les Tueurs de la Lune de Miel ?
RM : oui, moins… mais pour être honnête, y’avait une petite rivalité entre Cramned discs et Sandwich records. Je me rappelle que je suis arrivé au bas de la porte, pour signer avec Cramned discs, j’etais avec Michel Lambot… et on a fait demi-tour.
D : pourquoi ?
RM : je sais plus ! (rires). Ils etaient peut être un peu plus mode, plus arty, nous on venait du punk. C’etait une rivalité un peu conne en fait, mais l’essentiel, c’est que ca a boosté les gens et il y a plein de groupes à cette époque qui sont sortis.

ALGORYTHMIC EP
D : on arrive au premier EP. Chanté en français et en anglais. En France, jusqu'à une époque récente, c’etait un gros débat dans le rock : faut-il chanter en français ou en anglais ? C’etait la même chose à Bruxelles ?
RM : c’etait la même chose. Dans les médias, notre 1er single n’a pas été reviewvé, parce qu’ils disaient que c’etait pas du rock, et c’etait pas de la variété française, mais nous… on s’est jamais posé la question, on venait de la culture Beatles, stones, punk, Stranglers, on voyait pas ou etait le problème, et pourquoi l’anglais devrait avoir le monopole du rock. C’etait une bagarre au début des années septante…euh, soixante-dix…septante dix, comme dirait Sttellla !
D : il y avait déjà le concept européen ?
RM : Oui, déjà parce comme je t’ai dit on parlait plusieurs langues, et puis on a toujours été tres pro-europeen en Belgique. Et on a eu la chance d’avoir Dominique Buxin, qui a su trouver une magie.

D : tu l’as rencontré en Allemagne ?
RM : ouais ! je l’ai rencontré du temps où on faisait Melody, il etait de 2 ans mon aîné. C’etait un fana de Gainsbourg, évidemment. Il avait un groupe punk qui s’appelait Kolossal. Avec un K. Attends… je revois la connexion. Quand j’ai commencé le Mouvement Oblik, il y avait un pote qui s’appelait Toto, qui connaissait bien Dominique Buxin. On a échangé des K7, et voilà.
D : ...sur la pochette, tu as écrit : Engineered by Swalens JP. Qui c'est ?
RM : c’est un voleuuuur !
D : c’est lui s’est barré en Corse avec les bandes ?
RM : c’est lui. En fait, c’était le propriétaire du studio. Il était ingénieur du son aussi. Je sais pas s’il y a eu des problèmes de paiement…., mais quand il est parti, il a gardé les bandes avec lui. Jean-Pierre Swalens il s’appelait.
D : mais tu as gardé une copie des bandes ?
RM : Pour être franc, je crois que les 2 premiers singles sont perdus à tout jamais, parce que le gars s’est tiré avec les bandes…Et la 2eme personne susceptible d’avoir les bandes, c’est Michel Lambot, pour les faire presser, masteriser, etceteri etcetera et il est tellement bordelique, il a tellement déménagé, il a eu tellement d’inondations qu’il sais certainement plus où sont ses copies (rires). Mais je sais que j’ai les bandes de Nagasaki à la maison.
D : la référence du disque, c’est 251079. C’est la date de sortie ?
RM : ca doit être ca.
D : sur SPACE REJECTION le texte est tres obscur. On dirait que tu chantes :
"I don't want to be your driver, you're fucking as a superman "
RM : non non je crois que c’est happy superman, ou surfing man ? je sais plus (rires).
RM : dans PLAGE PRIVEE il y a un aspect directement politique assez rare chez PSize (on le retrouve dans Action Man). Le Bourgmestre, Bruxelles... Tu faisais référence à des évènements précis ?
D : Oui. C’etait l’époque des festivals rock qui ont été interdits à Bruxelles. Sur la place de Brouckère. Un des Bourgmestres avait interdit le festival, et il y avait eu une révolte, des émeutes...
D : J'aime beaucoup le collage rose fluo/béton noir & blanc de la pochette. Un petit détail : C'est quoi cet immeuble que tu as pris en photo ?
RM : c’etait le ministère des finances belge qui etait en construction (rires). Et à l’arrière, c’etait le tunnel pour y aller.

PRAGMATIC SONGS

RM : il y en a eu que 800 copies. Algorythmic y’en a eu 1500, Pragmatic, 800. Comme on s’etait cassé la figure avec le premier (on en a vendu 200 !), Michel (Lambot) il a dit popopop, on va en faire la moitié, 800 ! (rires).
D : commençons par les titres, Ommatidia ? qu’est ce que c’est ?
RM : ça vient de Ozymandias, la face B du 45t de JJ Burnel, Freddie Laker, qui doit être le nom d’une bactérie, quelque chose comme ca. (en fait, un poème de Shelley). C’etait l’époque Burnel qui commençait.
D : et Logique polygonale ? le côté matheux, qu’on retrouve dans Algorythmic ?
RM : ben, à ce moment-là, j’etais toujours étudiant en psycho, alors je faisais beaucoup de statistiques ! (rires). Pendant les cours, je notais des trucs…
NAGASAKI MON AMOUR / HIROSHIMA 1945
D : Tu rencontres donc JJ Burnel dans un concert à Bruxelles.
RM : à Cologne, en 1978.
R : déjà ?
RM : ouais, je me rappelle, c’etait la veille de passer le baccalauréat. Je me suis dit, c’est pas vrai ! Allez, on va voir les Stranglers, on s’en fout. J’avais un pote qui connaissait la salle. Il me dit, si tu veux les voir, les backstage c’est par là-bas… On a commencé à gueuler : « Jean-Jaaaacques on vient spécialement de France blablabla… » Tu parles, on venait de notre internat à 10 km de la ! (rires). Alors JJ nous a fait entrer… Faut dire qu’on etait avec 5 filles, ca a dû faciliter les choses ! Ça a été le premier contact. Et un an plus tard, quand j’avais les bandes de Algo EP, je lui ai envoyé. Il avait fait Euroman Cometh avec les boîtes à rythmes et tout ca, et c’etait vraiment un album de référence pour moi.
D : et il vous a proposé de produire le prochain 45t, Nagasaki.
RM : oui.
D : mais financièrement ca s’est passé comment ?
RM : oh c’était pas facile. Michel Lambot a dû emprunter aux banques, taper dans la caisse de son magasin (Casablanca Moon)… En plus quand on est allé enregistrer, JJ a dit « no business man ». Et Michel a dit « quoi quoi quoi, qu’est ce que c’est que cette histoire, c’est moi qui paye et je peux même pas venir ? » Alors il est venu quand même et ca s’est tres bien passé.
D : j’ai montré la pochette à un copain japonais, en lui demandant ce que ca voulait dire, et il m’a répondu : rien du tout, c’est des idéogrammes qui n’existent pas »
RM : je sais, c’est moi qui les ai faits (rires).

PS

RM : on l’a enregistré dans le même studio que Patrick Hernandez, c’est là qu’il a fait Born To Be Alive.
D : Et Mother’s little Helper, tu l’as envoyé aux Stones ?
RM : je l’ai donné à Keith Richard lui-même. En fait, un des roadies des Stranglers bossait avec les Stones sur leur tournée, alors JJ lui a demandé d’arranger ca. Sinon, tu penses, impossible de rencontrer ces gens-là. Alors je l’ai vu backstage quand ils sont passés a Bruxelles.
D : et tu as eu des échos ? tu sais si ca lui a plu ?
RM : rien du tout. Faut dire que a l’époque, on pouvait écrire dans le vinyl des disques et que j’avais rajouté : « fuck the Stones » ! (rires).

D : sur Girlscout, il y a un thème qu’on va retrouver sur plusieurs morceaux par la suite, comme irrigation, c’est l’érotisme.
RM : oui. C’est que Bubu (Dominique Buxin) était vraiment chaud ! Mais il était surveillé par sa femme (rires).
D : et puis il y a On the way to Medora : c’est où Medora ? je l’ai pas trouvé dans mon atlas.
RM : nulle part. On a dû l’inventer.

NAGASAKI MON AMOUR / KYOTO

D : la pochette mentionne Akiko aux vocals. C’était qui ?
RM : une journaliste rock très connue au japon. En fait, on avait fait un échange d’appartements entre le sien à Tokyo et le notre à Martine et moi. Elle était venue faire des articles en Europe. Au Japon, on a passé 2 mois et rencontré plein de monde : YMO, Ryuichi Sakamoto, Lizards (le groupe produit par JJ), les Plastics… On est rentré avec des piles de disques. C’etait génial.

POLYPHONIC SIZE (illegal records, USA)

D : c’est qui la fille sur la pochette ?
RM : je sais pas, mais je voudrais bien la rencontrer ! rires)
D : RDA RFA , ça raconte ton enfance en Allemagne ? Je me rappelle d’avoir pris le train entre Berlin et Copenhague, à l’époque de la RDA, et il y avait cette ambiance, les gens dans les gares, les vieux compartiments. Je trouve que le morceau reflète tres bien ca.
RM : ouais. Ca vient de la période où j’etais à Cologne, et on prenait le train pour rentrer à Bruxelles. J’ai dû faire ce trajet des centaines de fois…